Des Iraniens à la limite de la caricature
Saeed Kamali Dehghan | Le Monde | le 18 septembre 2008
Le président Ahmadinejad est devenu le sujet de prédilection des caricaturistes iraniens. Golagha, le premier journal satirique publié après la révolution islamique de 1979, l’a représenté récemment dans un bloc opératoire, demandant à un assistant une clé à molette pour opérer un minuscule grain de riz. Signé du célèbre caricaturiste Amirhossein Davoodi, et publié en couverture de ce bimensuel, le dessin était accompagné d’une citation de l’intéressé : “Le gouvernement est prêt à conduire des opérations plus importantes.” La caricature prend pour thème le prix du riz, dont l’importante augmentation pèse sur la population, tandis qu’il est reproché au président de s’intéresser davantage au dossier nucléaire qu’à la situation économique.
“Nous respectons les mollahs et nous ne les caricaturons pas, c’est pour cela que nous croquions seulement les vice-présidents lors des mandats précédents”, explique Amirhossein Davoodi. Jusque-là en effet, le président était un mollah, et il est interdit en Iran de dessiner des religieux. L’arrivée au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad, en 2005, a modifié les choses.
“Nous sommes le premier journal à l’avoir caricaturé”, rappelle Poopak Saberi Foomani, fille du fondateur de Golagha, qui dirige le journal satirique depuis la mort de son père, en 2004. A l’époque, cela avait soulevé une tempête de protestations, puis l’émotion est retombée, même si la répression est toujours présente.
Depuis l’élection à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, le niveau général de tolérance a baissé. Des caricaturistes sont emprisonnés et des journaux réformistes suspendus. Selon Amirhossein Davoodi, les Iraniens partagent plus de blagues par SMS que partout ailleurs dans le monde.
Golagha est une sorte de “centre de formation” qui permet aux jeunes satiristes iraniens de débuter leur carrière. L’exceptionnel essor de la presse durant la présidence du réformateur Mohammad Khatami avait notamment permis de découvrir le talentueux Nikahang Kowsar. Celui-ci fut emprisonné pour avoir publié, en janvier 2000, une caricature qui montrait un crocodile tuant un journaliste avec sa queue tout en le pleurant. Menacé, le dessinateur a fini par émigrer au Canada en 2003.
Sur le blog de Nikahang Kowsar, on peut voir un bébé dans son landau qui demande à sa mère quel est l’âge minimal des exécutions en Iran. Une manière de dénoncer les exécutions de mineurs ordonnées ces derniers mois.
En mai 2006, Mana Neyestani, 35 ans, avait dessiné une série de caricatures sur le thème “comment peut-on se débarrasser d’un cafard ?”, publiées dans le Journal Iran, dans lesquelles il utilisait le dialecte azéri. Ces caricatures avaient provoqué des émeutes et une violente polémique, et Neyestani fut condamné à trois mois de prison ferme. Cela n’empêche pas les caricaturistes iraniens de continuer à travailler. Les blogs satiriques seraient actuellement plus d’une centaine.
Les lignes rouges ne sont pas exactement indiquées par la censure. Cela fait cinq ans que Bozorgmehr Hosseinpour signe régulièrement des bandes dessinées dans Chelcheragh, le plus célèbre hebdomadaire pour les jeunes. Il a commencé lui aussi sa carrière à Golagha. Durant la présidence Khatami, il a publié quatre albums, mais a eu beaucoup de mal à les réimprimer par la suite. L’un d’eux a dû être amputé de quinze dessins pour pouvoir reparaître l’an dernier. “En Iran, remarque-t-il, un caricaturiste ne peut toucher aux principaux sujets de la vie quotidienne. Il est interdit de dessiner les relations entre hommes et femmes, les minorités…” Les albums de bande dessinée n’échappent pas à la loi générale : avant publication, tout ouvrage est soumis à un contrôle étroit.
Les albums de Marjane Satrapi, qui vit à l’étranger et y a acquis une certaine notoriété, se lisent en PDF sur Internet. Des CD de son film Persepolis ont beaucoup circulé en Iran, mais la presse n’a pas pris le risque d’en parler.